Mercredi soir au Stade du Letzigrund de Zurich, devant 50’000 personnes, Mick Jagger, Keith Richards, Ronnie Wood et Charlie Watts ont fait honneur à leur stature de légendes. En bonus, la setlist du concert
Il y a quelques jours, on posait la question: pourquoi, en 2017, aller encore voir The Rolling Stones? Si dans le fond les possibilités de réponses ne manquent pas, il y en a une qui, mercredi soir, dans les travées du Letzigrund zurichois, ne cessait de revenir: c’est peut-être bien la dernière fois qu’on peut les applaudir en Suisse. Les temps changent: il y a pile cinquante ans, lors de leur première venue à Zurich, le gang de Mick Jagger et Keith Richards passait pour une bande de loubards peu fréquentables – le concert s’était d’ailleurs quasiment terminé en émeute.
Trois ans auparavant, pour leur première apparition helvétique, dans le cadre de la Rose d’or de Montreux 1964 et de l’enregistrement d’une émission de télé anglaise, pas d’émeute, et pour cause: le groupe, qui ne s’était encore jamais produit en dehors du Royaume-Uni, était quasiment inconnu. Organisateur du concert, le futur fondateur du Montreux Jazz Festival Claude Nobs a régulièrement rappelé l’anecdote: la chaîne ITV, affolée devant le manque d’enthousiasme, a affrété en urgence un avion au départ de Londres afin de pouvoir filmer des jeunes aux cheveux longs dans les premiers rangs plutôt que de sages Suisses en costume-cravate.
Les temps changent, donc: en 2017, les Stones sont vus comme des légendes et attirent un public familial. En guise de première partie, comme pour prouver que les Anglais et plus généralement les seventies restent une période faste et incontournable pour quiconque se prétend rockeur, on doit se farcir The Struts, un quartet exagérément glam dont le chanteur Luke Spiller cherche tellement à évoquer les fantômes de Bowie, Mercury et Bolan – tout en se déhanchant comme Jagger, bien sûr – qu’il en devient grotesque. Certains en profitent alors pour s’offrir une bratwurst et un t-shirt frappé de l’éternelle bouche tirant la langue (on dénombre presque autant de stands de merchandising que de bars), avant d’enfin assister à la messe, qui s’ouvre – rock’n’roll oblige – sur un «Sympathy for the Devil» rappelant que cet objet muséal que sont devenus les Stones (voire l’exposition Exhibitionism: The Rolling Stones, créée à la Saatchi Gallery de Londres l’an dernier) était jadis sulfureux.
On ne sait pas si Mick Jagger et Keith Richards ont un jour pactisé avec le Diable en échange d’une jeunesse éternelle, mais en quelques minutes les voilà – à 74 ans – qui balayent instantanément tous les doutes. Les Stones demeurent un immense groupe live, au son énorme alors même que le dispositif scénique – en marge de quatre gigantesques écrans verticaux – n’impressionne guère. A l’instar du Boss Springsteen, les Londoniens n’ont pas besoin de s’appuyer sur des effets pyrotechniques ou des cohortes de danseurs sexy pour faire parler la poudre. Impassible derrière ses fûts, l’aîné Charlie Watts donne le tempo, tandis que Richards joue de son look de corsaire et que Ronnie Wood, assure la rythmique. Cinq musiciens – dont les fidèles Daryl Jones (soliste de génie sur Miss You) à la basse et Chuck Leavell aux claviers – ainsi que deux choristes les accompagnent mais restent tapis dans l’ombre.
A ceux qui l’auraient oublié, «Tumbling Dice» vient rapidement rappeler que si Jagger et Richards ont un beau jour de 1962 décider de faire équipe, c’est par passion pour le blues américain, cette musique poisseuse venue du bayou qu’ils furent parmi les premiers à fusionner avec les sons nouveaux du rock british. Et d’enchaîner justement sur deux morceaux de leur dernier album, Blue & Lonesome, entièrement composé de reprises: «Hate to See You Go» de Little Water, interprété pour la première fois sur scène, et «Ride’Em On Down» d’Eddie Taylor. Bienvenue dans le delta du Mississippi.
En vieux routards, les Stones savent parfaitement construire un set et jouer sur l’alternance des intensités, passant d’une belle reprise du «Like A Rolling Stone» de Dylan (jouée sur demande du public via un vote en ligne) au plus mélancolique «You Can’t Always Get What You Want», avant de dégoupiller un «Paint It Black» d’une sidérante puissance, tout comme «Midnight Rambler» un peu plus tard. Jagger s’exprime régulièrement en allemand, salue les Romands en français et les Tessinois en italien, signale la présence de l’amie Tina Turner. Partageant avec l’iguane Iggy une silhouette de marathonien et un sens inné de la théâtralité, il est magnétique, comme l’est Richards lorsqu’il investit le devant de la scène pour chanter «Happy» et «Slipping Away» d’une voix fabuleusement usée.
Les dernières vingt minutes sont faites pour réveiller les gradins. «Start Me Up», «Brown Sugar», «(I Can’t Get No) Satisfaction», puis «Gimme Shelter» et «Jumpin’Jack Flash» en rappels, achèvent de convaincre de la grandeur d’un groupe qu’on a régulièrement enterré mais qui, à l’image de Richards, qui a survécu à on ne sait trop combien d’overdoses, est plus vivant que jamais – sans donner l’impression de s’autoparodier où de livrer le concert de trop. Diable que la messe fut belle!
- Sympathy for the Devil
- It’s Only Rock’n’Roll (But I Like It)
- Tumbling Dice
- Hate to See You Go
- Ride 'Em On Down
- Dancing With Mr. D
- Like a Rolling Stone
- You Can’t Always Get What You Want
- Paint It Black
- Honky Tonk Woman
- Happy
- Slipping Away
- Midnight Rambler
- Miss You
- Street Fighting Man
- Start Me Up
- Brown Sugar
- (I Can’t Get No) Satisfaction
- Gimme Shelter
- Jumpin' Jack Flash